C'est le moyen pour moi d'échanger sur la Chine, de faire partager mes voyages en Chine, des lectures sur la Chine, des analyses, des impressions, d'aller au-delà des peurs qu'inspire ce grand pays si entreprenant en essayant de comprendre ses propres craintes, ses propres défis mais aussi de pointer les questions qu'il soulève. Nous aurons peut-être ainsi l’occasion de faire un bout de chemin ensemble.
Je remercie Françoise, cette amie passionnée de littérature du XVIIe siècle qui m'a fait découvrir récemment l'existence du jésuite sarthois Joaquim Bouvet (1656-1730).
Ce mathématicien membre de l'Académie royale des science de Paris, né au Mans en 1656, fut choisi en 1685, avec cinq autres jésuites, par le Roi Soleil pour faire partie d'une expédition scientifique à l'autre extrémité de l'Eurasie. L'objectif de Louis XIV ? Permettre, à la barbe des Portugais, détenteurs depuis l'accord pontifical du Padroado du XVIe siècle d'un monopole de l'évangélisation de l'Asie et de l'Afrique, d'instaurer des relations avec la Chine.
Arrivé à Pékin en 1688, le père Bouvet intégra avec son collègue Jean-François Gerbillon, le premier cercle de l'empereur Kangxi (1654-1722). Il commença par apprendre le chinois et le mandchou, langue maternelle du Fils du Ciel (la nouvelle dynastie Qing, arrivée au pouvoir en 1644, était "étrangère") et entreprit, à la demande de l'empereur, de lui enseigner tour à tour durant trois heures par jour (!) les mathématiques, l'astronomie, la géographie, la médecine, l'alchimie et la philosophie. Les nombreux traités scientifiques écrits par Bouvet à la demande du Fils du Ciel servaient à ce dernier de "manuels scolaires" en complément des cours. Kangxi aurait pendant cinq ans suivi assidument les enseignements des deux jésuites, signe du vif intérêt qu'il portait aux sciences européennes. Bouvet eut même à soigner l'empereur à plusieurs reprises lorsque la médecine chinoise s'avérait inefficace. Il faut savoir que l'empereur Kangxi ne s'intéressait pas seulement aux sciences puisqu'il commanda pendant son règne la composition du plus grand ouvrage sur les caractères chinois et le plus exhaustif jamais créé.
Par leur action d'enseignement auprès du Fils du Ciel, Bouvet et Gerbillon contribuèrent à la proclamation par l'empereur Kangxi en 1692 de l'Edit de tolérance qui consolida la position des jésuites français à la cour et officialisa la protection du christianisme en Chine.
Matteo Ricci (à gauche).
Inutile de rappeler qu'en arrivant en Chine, Bouvet s'en tint strictement à l'attitude de son prédecesseur et précurseur l'italien Matteo Ricci qui s'était fixé pour conduite de tenter d'amadouer, voire de convertir, les dirigeants chinois avant même leurs innombrables sujets (on parle de christianisation indirecte). Pour ce faire, il renonça à son mode de vie occidental et se sinisa. Bouvet fit de même. Connu dans l'Empire du Milieu sous son nom chinois Bai Jin Mingyuan 白金 名媛, il est enterré à Pékin où il mourut en 1732.
A noter encore, parmi les faits marquants de ses recherches, qu'il se consacra à l'étude du Livre des Mutations (Yi Jing, livre de Fuxi) dont il pensa percer le secret. Ecoutons-le en parler lui-même : " Et parce que tous les commentaires, qui ont été faits depuis près de trois mille ans sur ce système par de très grands hommes, dont Confucius a été un des principaux, paraissent plus propres, pour en embrouiller et obscurcir davantage le véritable sens, que pour en développer le mistère, ayant laissé à part tous ces commentaires, et m'étant attaché uniquement à la figure, je l'ai considérée en tant de sens différents, qu'après avoir combiné et recombiné ce qui m'a paru de plus solide dans les principes des sciences chinoises avec les principes les plus anciens de nos sciences, [...] je ne doute point que je n'en aye enfin découvert tout le mistere, ou du moins une route très sûre et très aisée pour y arriver..." (citation reprise par François Jullien dans Figures de l'immanence).
Ouvrage de Joachim Bouvet qui relate les grandes réalisations politiques de l'empereur Kangxi, le comparant habilement à Louis XIV à qui le récit était destiné.