C'est le moyen pour moi d'échanger sur la Chine, de faire partager mes voyages en Chine, des lectures sur la Chine, des analyses, des impressions, d'aller au-delà des peurs qu'inspire ce grand pays si entreprenant en essayant de comprendre ses propres craintes, ses propres défis mais aussi de pointer les questions qu'il soulève. Nous aurons peut-être ainsi l’occasion de faire un bout de chemin ensemble.
Mike Pompeo évoque les cas de deux citoyens canadiens détenus en Chine depuis 2018, lors d’une conférence de presse à Washington, le 1er juillet. MANUEL BALCE CENATA / AFP
Un peu plus de deux ans après la guerre commerciale déclarée par le gouvernement Trump à la Chine, les Etats-Unis ont ouvert de nouveaux fronts pour exercer des pressions sur Pékin, au nom des principes qu’ils défendent et au moyen de lois extraterritoriales. L’offensive porte sur des questions politiques – l’autonomie pour Hongkong, les droits de l’homme pour la région du Xinjiang, et l’espionnage pour Huawei et les médias officiels chinois aux Etats-Unis, désormais désignés comme des « missions étrangères ».
« C’est la première fois depuis Tiananmen, en 1989, que des sanctions aussi systématiques sont prises contre la Chine. A l’époque, c’était un massacre. Là, cela punit la répression, mais ce qui est visé, c’est l’affirmation de puissance chinoise. La vraie question est désormais : “Peut-on laisser une dictature devenir la première puissance mondiale ?” », analyse le sinologue Jean-Pierre Cabestan, de l’université baptiste de Hongkong.
Le « blitzkrieg » juridique américain repose sur le Hongkong Autonomy Act, signé le 14 juillet, le Uyghur Human Rights Policy Act, signé le 17 juin, ainsi que sur le Global Magnitsky Human Rights Act. Cette loi, originellement destinée à la Russie, étendue en 2016 aux auteurs de violations des droits de l’homme dans le monde entier, cible pour la première fois la Chine. Plusieurs hauts responsables du Xinjiang ayant eu un rôle-clé dans la politique d’internement massif de la minorité ouïgoure sont désormais interdits de séjour aux Etats-Unis, et leurs avoirs, s’ils en ont, gelés par le département d’Etat.
La nouvelle loi sur Hongkong, qui s’ajoute à la révocation du traitement préférentiel réservé au territoire par les Américains en matière commerciale et financière, doit sanctionner les entités et les individus ayant contribué à éroder le haut degré d’autonomie de Hongkong au moyen de la loi de sécurité nationale promulguée par Pékin le 1er juillet dernier. Aucun nom n’a été précisé, mais « tout est sur la table », a signalé un porte-parole du Conseil de sécurité nationale américain.
Bloomberg a rapporté, mercredi 15 juillet, qu’étaient pressentis pour rejoindre la liste le responsable des affaires de Hongkong au sein du Comité permanent du Parti communiste chinois (PCC), Han Zheng – soit, potentiellement, le dirigeant chinois le plus haut placé jamais ciblé –, ainsi que la chef du gouvernement de Hongkong, Carrie Lam. Le New York Times faisait état, le même jour, d’un plan à l’étude à la Maison Blanche pour interdire de visa les 92 millions de membres du PCC. Une décision toutefois délicate à mettre en œuvre en raison de la difficulté, pour les Américains, de vérifier ce statut pour les membres ordinaires.
Dans une analyse sur le site du cercle de réflexion Center for Strategic and International Studies, le sinologue américain Jude Blanchette juge « immature » et « manquant de réflexion stratégique » la propension du gouvernement Trump à « jouer les durs », car une telle attitude permet justement au dirigeant chinois « de se présenter comme assiégé par les forces hostiles occidentales ».
Les sanctions, en tant que moyen d’intervention, n’ont certes parfois qu’un effet symbolique – notamment sur des officiels chinois ne voyageant pas aux Etats-Unis. Et Washington en déploie, à ce stade, bien moins à l’encontre de la Chine que vis-à-vis du Venezuela, de l’Iran, ou même de la Russie. Mais la défense des droits de l’homme sert aussi un autre objectif : ralentir la Chine dans sa quête technologique. Concernant le Xinjiang, vingt entités liées à l’appareil policier et huit entreprises de surveillance vidéo et des technologies de reconnaissance faciale étaient déjà, depuis octobre 2019, sur une liste noire du département américain du commerce leur interdisant d’acheter des composants américains sans l’approbation du gouvernement.
Huawei, le géant des télécoms chinois, a d’abord été soumis à ce même régime. Puis toute agence fédérale s’est vu interdire de se fournir chez lui. Depuis le printemps, ses smartphones ne peuvent plus utiliser le système d’exploitation Android, ni les applications Google ou Facebook. Les fournisseurs étrangers du groupe doivent obtenir une licence américaine pour tout composant contenant de la propriété intellectuelle américaine. « L’une des conséquences, c’est que le Taïwanais TSMC ne pourra pas fournir à Huawei des puces de 5 nanomètres, ce qui va bloquer Huawei dans les smartphones de prochaine génération. Huawei va aussi avoir du mal à maintenir son offre 5G », note le chercheur Mathieu Duchâtel, de l’Institut Montaigne.
Les décisions américaines ont désormais un effet d’entraînement sur les alliés des Etats-Unis : les Britanniques viennent d’exclure Huawei de leurs réseaux 5G, après les Australiens. D’autres pays pourraient logiquement suivre, notamment des membres de l’OTAN.
« Toutes ces lois ont reçu un large soutien bipartisan. Et la Chine est le seul sujet sur lequel Donald Trump et [le candidat démocrate à la présidentielle] Joe Biden sont d’accord », analyse Pierre-Antoine Donnet, auteur du livre Le Leadership mondial en question : l’affrontement entre la Chine et les Etats-Unis (Editions de l’Aube). Dans l’inventaire détaillé qu’il dresse des forces en présence, M. Donnet rappelle qu’après le retrait américain du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire en août 2019, le secrétaire américain a la défense, Mark Esper, avait déclaré que le Pentagone déploierait des missiles à moyenne portée le plus tôt possible dans le Pacifique : « C’est un nouveau front qui s’ouvre là aussi », explique-t-il.
La Chine a apporté, à ce stade, une réponse « mesurée », sous forme de cinq volets de sanctions à l’encontre des Etats-Unis – elle privera de visas plusieurs sénateurs américains connus pour leur mobilisation contre elle ainsi que ceux qui « mènent une politique malveillante sur le Tibet ». Elle a annoncé boycotter le groupe de défense américain Lockheed Martin en raison de ses ventes à Taïwan – mais la société est peu présente en Chine. Et soumettra plusieurs grands médias américains en Chine à de nouvelles contraintes administratives.
Pékin, qui a toujours dénoncé vertement l’extraterritorialité des lois américaines, pourrait bientôt user de moyens similaires : « La nouvelle loi de sécurité nationale à Hongkong peut s’appliquer à n’importe quelle personne dans le monde, c’est un signal clair dans le sens d’une approche qui inclurait l’extraterritorialité », juge Mathieu Duchâtel. Autre champ d’affrontement : les cyberattaques. « Cette guerre-là a commencé, et elle n’a jamais été déclarée. C’est un élément qui n’existait pas sous la guerre froide avec l’Union soviétique, et qui rend celle avec la Chine différente », estime le sinologue Jean-Pierre Cabestan. Les Américains, en la matière, ont l’habitude de mener des contre-attaques. Mais évitent d’en faire la publicité.