C'est le moyen pour moi d'échanger sur la Chine, de faire partager mes voyages en Chine, des lectures sur la Chine, des analyses, des impressions, d'aller au-delà des peurs qu'inspire ce grand pays si entreprenant en essayant de comprendre ses propres craintes, ses propres défis mais aussi de pointer les questions qu'il soulève. Nous aurons peut-être ainsi l’occasion de faire un bout de chemin ensemble.
Le taoïsme, comme le confucianisme, est un "enseignement" purement chinois, à la différence de la troisième grande sagesse de la Chine, le bouddhisme qui, lui, est né en Inde.
(Ce texte est rédigé à partir de l’ouvrage de référence d’Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise ( le Seuil, 1997)
1- LE NON-AGIR – Comme les courants de pensée lancés par Confucius et Mozi, le courant de pensée dit « taoïste » naît à l'époque des Royaumes combattants en Chine (Ve-IIIe siècle avant J.-C.) où le monde n'est que discorde et violence. Contrairement aux autres, la pensée taoïste ne cherche pas un moyen d'y échapper mais au contraire de se mettre à l’écoute, dans une attitude appelée "le non-agir", au nom de quelque chose d'encore plus fondamental que l'homme : la Voie par excellence, le Dao (ou Tao).
2- LE DAO – Le Dao (ou Tao) ne désigne pas seulement une voie (celle du Non-agir) mais la Voie, c'est-à-dire ni plus ni moins que la réalité ultime, dans son tout, son principe et son origine. En tant qu'Origine absolue, avant de produire Ciel-Terre, le Dao est indicible mais dans le fait même de produire le Ciel-Terre, il devient nommable et prend pour nom "Mère des dix mille êtres".
3- LAOZI, ZHUANGZI – La tradition fait de Laozi le premier maître taoIste, considéré comme un contemporain de Confucius qui aurait donc vécu aux alentours du VIe-Ve siècle av. J.-C., le second maître étant Zhuangzi. Certains chercheurs considèrent aujourd'hui que Zhuangzi représente la première vague de l'école taoïste d'autant qu'on est sûr aujourd'hui de son existence, ce qui est moins sûr de Laozi. Tous deux ont laissé deux ouvrages très importants. Celui de Laozi est une série de poèmes rythmés et rimés, d'une concision extrême, d'où le nombre impressionnant d'interprétations possibles et de traductions existantes.
4- LA RAISON, UN LEURRE ? – La raison est-elle bien raisonnable ? Peut-elle vraiment prétendre trouver prise quelque part ? Pour Zhuangzi, c'est un leurre que de prétendre affirmer quelque chose puisqu'il est possible, simultanément, d'affirmer son contraire. Il tourne en ridicule tous les maîtres à penser de l'époque car le langage crée un monde artificiel limité et limitatif. "Celui qui sait ne parle pas et celui-qui parle ne sait pas", écrit-il.
5- SAVOIR-FAIRE – Pour entrer dans le Dao, Zhuangzi rejette la "résolution d'apprendre", comme le propose Confucius, pour favoriser "le savoir-faire", le "coup de main" instinctif et pourtant acquis de l'artisan. "Appréhender le Dao est une expérience qu'on ne peut exprimer ni transmettre par les mots", dit-il. Cela relève davantage de l'entraînement et de l'apprentissage.
6- L'HOMME VRAI – L'idéal, pour les taoïstes, serait que l'homme se défasse, non seulement de sa nature proprement humaine (xing) mais aussi de ses caractéristiques intrinsèques (qing) que sont émotions et sentiments. Zhuanzi exhorte l'homme à entrer en fusion avec le Dao pour devenir "l'homme vrai" (zhen ren). Exempt de tout souci moral, politique ou social, de toute inquiétude métaphysique, de toute recherche d'efficacité, de tout conflit interne ou externe, de tout manque et de toute quête, il a l'esprit libre et vit en parfaite unité avec lui-même et avec toute chose. Il jouit ainsi d’une totale plénitude qui lui confère une grande puissance et il revêt une dimension cosmique.
7- L'ÉNERGIE ESSENTIELLE – La puissance que l'homme vrai puise dans celle du Dao (la Voie) est le "qi", à la fois énergie vitale et influx spirituel. Pour y parvenir, l'homme doit travailler son "qi": maîtrise de la respiration, gymnastique, méditation, etc. , préfigurant le taïchi et le qi-cong.
8- ÉTERNELLES TRANSFORMATIONS – En fusion avec le Dao, l'homme retrouve son centre et n'est plus affecté par ce que l'esprit humain considère ordinairement comme souffrance : déclin, maladie, mort. Car cela fait partie du processus naturel. Le temps et le monde des taoïstes sont faits d'éternelles transformations.
9- LA MÉTAPHORE DE L'EAU – Pour illustrer son paradoxe central du "non-agir", connu dès le milieu du IIIe siècle av. J.-C., Laozi utilise la métaphore de l'eau, qui représente l'élément le plus humble, le plus insignifiant en apparence, qui, bien que ne résistant à rien, vient pourtant à bout des matières réputées les plus solides. Il faut désamorcer la violence en se mettant plus bas que l'agresseur, car ce qui provoque l'agression, est de placer l'autre en position d'infériorité. Le non-agir ne consiste pas à "ne rien faire" mais à s'abstenir de toute action agressive afin de laisser agir l'efficacité absolue, la puissance invisible du Dao. C'est ce que Laozi appelle "l'agir sans trace" car "celui qui sait marcher ne laisse pas de trace".
10- ORIGINE – Laozi rêve d'un état primitif exempt de toute forme d'agression ou de contrainte sur les individus, où l'absence de morale, de lois, de châtiments, ne conduit pas les individus à être agressifs en retour et où il n'y a ni guerre, ni conflit, ni même esprit de compétition ou volonté de dominer. Pour Laozi, l'homme, dans sa nature originelle, est entièrement dénué d'agressivité.