C'est le moyen pour moi d'échanger sur la Chine, de faire partager mes voyages en Chine, des lectures sur la Chine, des analyses, des impressions, d'aller au-delà des peurs qu'inspire ce grand pays si entreprenant en essayant de comprendre ses propres craintes, ses propres défis mais aussi de pointer les questions qu'il soulève. Nous aurons peut-être ainsi l’occasion de faire un bout de chemin ensemble.
De tous temps, les Chinois croient que les morts restent en contact avec les vivants et que s'ils sont suffisamment respectés, honorés dans des rituels familiaux, qu'on appelle le "culte des ancêtres", ils peuvent amener santé, réussite et bonne fortune aux descendants. C'est donc un devoir de rendre hommage aux ancêtres, de leur offrir nourriture et offrandes. Cette tradition est un mélange de religion populaire, de bouddhisme, de taoïsme et de confucianisme. Grâce à ce culte, des liens sont conservés entre les morts et les vivants. Les portraits d'ancêtres, dont quelques spécimens proposés dans des galeries ou vus durant mes voyages en Chine sont présentés ci-dessous, s'inscrivent dans ce culte. La plupart date de la dynastie Qing (1644-1920). En Occident, on en trouve en vente chez quelques antiquaires et galeries ou dans des ventes aux enchères.
Toile en rouleau de 1,20m x 0,55 m. Collection personnelle.
Tableaux proposés par des galeries, en Europe
En Chine, le portrait d'ancêtre est un genre artistique reposant sur des codes différents de la tradition européenne. Contrairement aux portraits occidentaux qui tentent de révéler l’âme des sujets par l'expression du corps et du visage, les portraits d’ancêtres chinois représentent des défunts statiques en habits d’apparat et en vue frontale. Les visages sont sans expression, mais personnalisés. Ces portraits ont pour but d’embellir les défunts avec des costumes, des broderies, du mobilier et des tapis. Les défunts sont majoritairement représentés en costume de fonctionnaire ou de dignitaire, même s’ils ne font pas partie de ces catégories sociales. Souvent seul le visage change réellement d’un ancêtre à un autre et l’expression du visage reste toujours neutre.
Couple d'ancêtres
Ces portraits représentent une personne, un couple, un clan ou plusieurs générations en vue frontale. Ils étaient disposés dans les maisons, les Chinois les plus aisés (lettrés, dignitaires…) leur dédiant parfois une pièce entière. Comme les portraits d’ancêtres se substituent à la présence physique des défunts, leurs descendants leur offrent régulièrement des cadeaux et de la nourriture. À l’occasion des fêtes, la tradition veut que l’on brûle du papier-monnaie ou de l’encens en leur honneur.
Les portraits d’ancêtres ont connu leur apogée sous la dynastie Ming et ont connu des évolutions stylistiques sous la dynastie Qing. Ils seront produits en masse jusqu’à l’apparition de la photographie, à la fin du XIXe siècle.
Portraits d'ancêtres en vente chez un antiquaire de Pingyao (province du Shanxi).
Les collectionneurs et les musées ne se sont intéressés aux portraits d’ancêtres chinois que récemment, à partir des années 1980. Certains collectionneurs avaient néanmoins commencé à acquérir ces tableaux dès les années 1930, une période troublée en Chine qui a vu les descendants de la famille impériale vendre une partie des trésors familiaux. Le manque d’intérêt des collectionneurs s’explique par le fait que ces portraits ne correspondaient pas aux standards occidentaux. De plus, leur usage était privé, seul le cercle familial pouvait les contempler. D’ailleurs, la possession de portraits d’ancêtres d’une autre famille était très mal vue en Chine, on disait même que cela portait malheur.
Les Chinois ne collectionnaient donc pas ces tableaux qui étaient réalisés par des artistes anonymes. Par conséquent, ils sont difficiles à dater ou à authentifier. On dénombre de nombreux styles au sein de la même époque, voire du même atelier, et la généralisation des copies ne permet pas d’établir des critères fiables d’authentification. Les marchands de tableaux du XIXe siècle n’hésitaient pas à effacer les inscriptions présentes sur les portraits afin de cacher leurs origines. Ainsi, des tableaux réalisés sous la dynastie Qing étaient présentés comme des tableaux réalisés sous la dynastie Ming. Cela explique le manque d’intérêt des Occidentaux pour cet art. La collection privée de portraits d’ancêtres chinois la plus importante serait détenue, semble-t-il, par Richard G. Pritlaff, un riche éleveur de chevaux américain du Nouveau-Mexique.
De nos jours, il existe un vrai engouement des musées, des collectionneurs occidentaux et asiatiques pour ces tableaux atypiques.
Portraits de groupe.