Extraits de Chine

C'est le moyen pour moi d'échanger sur la Chine, de faire partager mes voyages en Chine, des lectures sur la Chine, des analyses, des impressions, d'aller au-delà des peurs qu'inspire ce grand pays si entreprenant en essayant de comprendre ses propres craintes, ses propres défis mais aussi de pointer les questions qu'il soulève. Nous aurons peut-être ainsi l’occasion de faire un bout de chemin ensemble.

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La grande force de la Chine, c’est sa pensée

par dans Extraits de Chine
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« Nous ne sommes plus dominants, et notre pensée s’essouffle. La pensée chinoise est complexe et adaptée au monde d’aujourd’hui, elle tend d’ailleurs à se répandre chez les émergents, qui trouvent féconde et adaptée cette pensée paradoxale. Ne faisons pas l’erreur de ne pas l’étudier, la pénétrer et la comprendre pour en tirer tous les enseignements utiles à notre propre gouverne », tel était le message adressé aux hommes d’affaires français réunis le 12 février à Paris par la Fondation Prospective & Innovation. Instructif.

Extrait de : Verbatim du colloque « Quel destin commun pour les entreprises françaises et chinoises ? » organisé le 12 février 2015 par la Fondation Prospective & Innovation présidée par Jean-Pierre Raffarin.

 […] La Chine est gouvernée par un pouvoir très fort, qui fait preuve d’une capacité de gouvernance assez exceptionnelle, et qui dispose d’une continuité lui permettant d’œuvrer dans le long terme tout en ajustant périodiquement les priorités. Aujourd’hui, la lutte contre la corruption s’est faite beaucoup plus sévère, et certains l’interprètent comme un durcissement du régime. Mais les Chinois y voient volontiers une forme de prise en compte de l’opinion publique, qu’ils sont enclins à interpréter comme une forme d’inflexion démocratique : union déroutante des contraires pour un esprit critique occidental, mais cohérence parfaitement intelligible, et apparemment satisfaisante, pour les Chinois. Que le parti s’épure est aussi un signal à interpréter pour les partenaires commerciaux, qui sont ainsi invités indirectement mais assez clairement à réviser leur compréhension d’une Chine qui annonce par là être en train de prendre un nouveau cours.

Il est très important de comprendre qu’à l’issue de trente ans d’évolution continue, la Chine n’a pas l’intention de faire un palier, ni de continuer désormais selon la même ligne comme si elle avait enfin une fois pour toutes trouvé sa voie en rejoignant grosso modo le trend des pays capitalistes développés. Elle continue son effort de transformation, ce qui veut dire qu’elle va continuer à changer après avoir rejoint l’alignement sur la voie aujourd’hui principale tracée depuis plus longtemps par l’Occident. Elle va donc s’en démarquer, et cette fois ce sera à l’Occident à prendre le sillage du changement qu’elle imprimera. Les péripéties de la lutte contre la corruption, à la faveur de laquelle se réorganise un pouvoir plus fort, plus concentré, ne sont qu’une facette d’un changement de plus vaste envergure, un moyen pour concourir à une transformation silencieuse en profondeur dont les arcanes restent impénétrables, mais qui n’a rien d’irréfléchi et qui tend à la grandeur de la Chine.

Il convient donc d’enregistrer ce signal donné sous la forme d’un renforcement de l’état de droit et de la protection du citoyen (sous la forme pour commencer d’une sévérité plus rude) et de comprendre que la situation des entreprises étrangères va sans doute devenir moins facile (à supposer qu’elle le fût) dans un contexte où le pouvoir chinois donne à entendre qu’il veille de manière plus attentive à l’intérêt général de ses concitoyens. On pourrait là encore s’en effaroucher, mais ce serait négliger le puissant attracteur que représente l’énorme disponibilité de ce pays en liquidités. Les Chinois épargnent jusqu’à 40 % de leurs revenus, et se préoccupent de plus en plus de protéger cette ressource qui leur tient aussi lieu de sécurité sociale, en la plaçant dans des investissements sûrs qu’il s’agit de leur offrir. Ils recherchent pour cela des opportunités chez eux et à l’étranger, et sélectionnent les candidats à leur assurer ce service en fonction de la confiance qu’ils inspirent, c’est-à-dire de leur crédibilité en Chine ou avec la Chine. Il y a donc là une raison nouvelle de s’inscrire dans le développement chinois, non plus seulement pour y faire des affaires fructueuses, mais pour se qualifier en tant que partenaire digne de mettre en valeur l’épargne chinoise en Chine ou ailleurs. L’accès au cash abondant détenu par ce pays est à ce prix, et c’est en somme bien naturel.

Il est de ce point de vue regrettable que la France ait tardé à se donner les moyens de drainer cette épargne disponible, et plus regrettable encore qu’elle ait envoyé des signaux aussi déplorables que ceux qui ont environné l’investissement chinois dans l’aéroport de Toulouse : on n’attire pas des partenaires en leur faisant une conduite de Grenoble ! Mais en dépit de bévues aussi déplorables, rien n’est perdu, tant la croissance chinoise reste prometteuse. Sous la croissance actuelle, qui va se poursuivre longtemps et puissamment, point une nouvelle croissance fort différente, encore difficile à saisir mais très détectable, et dont il est loisible à chacun d’aider à ce qu’elle devienne délectable. Au titre de cette nouvelle frontière de son essor, la Chine sera encore plus ouverte qu’elle ne l’a été dans un premier temps, à cette différence capitale près que c’est elle qui choisira et pilotera. Il ne suffit plus de se présenter fort de ce que l’on a fait et de ce que l’on est, il s’agira de se qualifier en fonction des attentes de la Chine. Le pays n’est encore urbanisé qu’à 53%, ce qui laisse augurer un demi-siècle d’urbanisation renouvelant complètement urbanisme et vie urbaine, et il y a là un immense domaine à défricher pour une offre franco-chinoise à inventer. […]

Il faut être installé en Chine, pour au moins trois raisons. La première est qu’il faut beaucoup de temps, d’attention et d’empathie pour commencer à pénétrer l’esprit de ce peuple. On se méprendrait lourdement si on espérait le faire en lisant quelques ouvrages. La seconde est que plus on séjourne sur place, moins on comprend, et donc plus on se met à réfléchir, ce qui est un bon commencement pour toucher juste (alors que, de loin, on se figure aisément avoir tout compris et on se dispense de réfléchir plus avant, donc d’être en alerte, erreur suprême). La troisième est que lorsqu’un pays évolue à 7,5 % de croissance, y venir trois ou quatre fois par an c’est un peu comme venir tous les trois ou quatre ans dans un pays qui évolue en dessous de 1% par an ! Qui penserait pouvoir gérer ses affaires en France en n’y venant que quelques jours un an sur deux ?

Ce choix d’une présence continue est d’autant plus important qu’en Chine, pour les raisons qu’on a dites, un contrat n’est pas la Loi et les prophètes, qu’on appliquera à la lettre : c’est un acte inchoatif, qui inaugure une relation que l’on souhaite certes la meilleure possible en général, mais qui connaîtra ses vicissitudes parce que le cours des choses le voudra ainsi. Il conviendra donc d’être continument en relation, de suivre et faire vivre ce partenariat, ce qui suppose que l’on soit présent, et pas seulement pour le suivi quotidien des affaires. Il s’agit de se bâtir une reconnaissance durable de manière plus générale, plus composite que dans le simple cadre normatif étroit de la relation particulière. Un Chinois qui entre en relation avec vous n’est pas que dans une relation interpersonnelle, mais dans une appréciation de tout un contexte, et si l’on néglige de bâtir ce contexte, on reste extrêmement fragile car trop inachevé, et vulnérable parce que manquant de surface. […]

Il est de bon ton en Occident de gloser sur le léger fléchissement de la croissance chinoise par rapport aux beaux jours du décollage initial. C’est oublier que 10 % de l’économie chinoise d’il y a quarante ans est un montant dérisoire par rapport à 7% de l’économie chinoise d’aujourd’hui, et qu’on a changé d’ordre de grandeur : ce pourcentage s’applique à une économie de 10 000 milliards de $, hors de proportion avec le PNB de 1979, dont le chiffrement n’a pas grand sens compte tenu de ce qu’il représentait. En outre, la croissance annuelle chinoise vaut 40 % de la croissance mondiale totale, qui est ou bien sensiblement plus lente dans les pays déjà riches, ou bien aussi vive mais s’appliquant à des niveaux initiaux faibles : ce n’est pas demain que l’Ethiopie avec une croissance à deux chiffres pèsera lourd dans le bilan global du monde.

La Chine reste donc solidement établie au premier rang des pays où il s’agit de faire des affaires aujourd’hui et demain et longtemps. Mais c’est un pays difficile, qui cumule à présent les complications d’un protectionnisme latent (un Chinois a pu racheter Volvo, mais l’inverse est difficilement pensable) et d’un environnement très concurrentiel, le tout dans un contexte juridique qui n’est pas toujours ni limpide ni d’une équité garantie.

La solution des joint-ventures, toujours obligatoire dans les partenariats franco-chinois, n’a plus d’avenir. Ces couplages qui mettent deux partenaires sous le même joug sont très vulnérables au moindre désalignement entre eux. Or la parité croissante entre partenaires étrangers et chinois multiplie ces probabilités de stratégies divergentes. Il faut donc passer d’un simple accord entre parties à un projet commun dans lequel chacun apporte continument. Oubliant la notion assez euro-nordique de la foi dans l’accord signé comme parangon définitif, il s’agit de construire une relation de confiance qui aura à se prouver à chaque moment. Le Chinois est beaucoup moins engagé par ce qu’il signe que par avec qui il signe.

Une raison supplémentaire de s’installer en Chine si l’on souhaite travailler en Chine, c’est la nécessité d’y vivre concrètement la ductilité du temps et la plasticité des Chinois à s’y mouvoir. Le rythme des affaires ressemble beaucoup là-bas à celui de la circulation sur un périphérique encombré : des alternances de bouchons incompréhensibles et de soudaines accélérations encore plus incompréhensibles, et qui pourtant obéissent à des lois plus générales d’écoulement des flux échappant à la perception individuelle. Les Chinois sont rompus à cette non-linéarité du mouvement des choses, et sont habiles à évoluer de manière très réactive, très à l’affût des moments propices, là où l’Occidental moyen reste à vouloir dérouler son plan de marche.

Cette observation a au demeurant une portée qui dépasse de beaucoup des affaires en Chine. Le propre de l’économie contemporaine, et des sociétés avec elles, est d’avoir évolué vers infiniment plus de diversité et de fluidité que naguère encore, de sorte que la prévisibilité est de moins en moins fille de la planification. Elle peut être reconstruite à partir du data mining et des calculs de probabilités, mais qui ne sont fiables qu’à partir d’un seuil reposant sur la loi des grands nombres. À courte vue, le monde se présente comme un environnement complexe se dérobant sans cesse à la prévision. On y a donc besoin de facultés toute différentes de celles qui prévalaient en des temps d’anticipation programmatique dominante. Il faut y être réactif, à l’affût, mobile et presque volatil, prêt à changer de référentiel et de méthodes à toute occasion, adaptable, sans pour autant perdre une capacité stratégique propre. La Chine détient ces qualités au plus haut degré, tant par culture que pour avoir dû les mettre en œuvre au fil de l’extraordinaire reconversion qu’elle vient d’accomplir. Elle a le sens du long terme, et une grande réactivité au court terme, qui se combinent pour la placer très souvent sur la meilleure trajectoire d’accélération.

On caricaturerait un peu, mais pas trop, en disant que l’Occident a excellé à gérer le moyen terme en maîtrisant la complication de manière glissante et croissante au fil des décennies, tandis que la Chine s’affirme magistrale dans la maîtrise du long terme, voire du très long terme des civilisations, et corrélativement dans le travail continu de gestion du court terme quasi quotidien, afin que pas une seconde ne soit perdue pour faire progresser l’évolution au travail dans le devenir, et qui est le mouvement incessant de la complexité. Elle est en train d’investir massivement dans l’éducation et les infrastructures, d’un côté, et de l’autre elle est perpétuellement aux aguets pour saisir le moindre changement et s’y adapter dans l’instant s’il se peut.

C’est cette énergie à la fois vibrante au quotidien et calée sur des objectifs stables qu’il s’agit de saisir lorsqu’on veut travailler avec des Chinois. L’époque où l’on se contentait de venir travailler chez eux à leur fournir ce qu’ils ne savaient pas bien faire est révolue. Il faut maintenant penser en termes de captage de leur énergie créative vers des synergies fécondes à l’échelle mondiale. C’est ainsi par exemple qu’on a pu les amener à s’intéresser à la reprise du Club Méditerranée, non pour créer une gamme de clubs en Chine ni emmener des Chinois dans les villages existants, ce qui se fait déjà (les Chinois sont la deuxième clientèle du Club), mais pour inventer et développer dans le monde entier un concept et une marque mondialement connus en leur injectant une dynamique chinoise. Ce n’est plus une joint venture visant la Chine, c’est une alliance visant le monde. Tel est le modèle à développer, y compris et surtout en France. Un investisseur chinois est beaucoup plus qu’un apport de capital, c’est un puissant moteur de renouveau. […]

Il est temps que nous nous habituions à changer nos systèmes de pensée. Nous ne sommes plus dominants, et notre pensée s’essouffle. La pensée chinoise est complexe et adaptée au monde d’aujourd’hui, elle tend d’ailleurs à se répandre chez les émergents, qui trouvent féconde et adaptée cette pensée paradoxale. Ne faisons pas l’erreur de ne pas l’étudier, la pénétrer et la comprendre pour en tirer tous les enseignements utiles à notre propre gouverne dans un monde qui trouvera en elle le meilleur de sa lisibilité. De même qu’il y a cinquante ans, Jean-Jacques Servan Schreiber sut éclairer une génération sur le modèle américain (Le défi américain, 1967) appelé à prévaloir, de même il est essentiel de comprendre aujourd’hui que la pensée chinoise va modeler le monde à venir.

Ph. R., 13 février 2015

 

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Venue en Chine en 2012 rendre une trop courte visite à mon fils, j’ai mesuré à quel point ma vision de ce pays était biaisée par des partis pris, des représentations d’un autre âge...
Depuis, je m’informe sur ce vaste et grand pays avec lequel nous avons à composer pour construire le monde de demain dans le respect de nos différences et de nos intérêts.


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