Extraits de Chine

C'est le moyen pour moi d'échanger sur la Chine, de faire partager mes voyages en Chine, des lectures sur la Chine, des analyses, des impressions, d'aller au-delà des peurs qu'inspire ce grand pays si entreprenant en essayant de comprendre ses propres craintes, ses propres défis mais aussi de pointer les questions qu'il soulève. Nous aurons peut-être ainsi l’occasion de faire un bout de chemin ensemble.

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Niva Yau : « La politique étrangère de la Chine en Asie centrale est déterminée par ses objectifs intérieurs »

par dans Extraits de Chine
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Pékin, analyse la chercheuse dans un entretien au Monde investit activement cette ancienne zone soviétique, selon une stratégie visant à assurer la stabilité régionale et à conserver des débouchés commerciaux en cas de conflit sur les mers.

Source : Le Monde du 5 février 2021. Propos recueillis par Brice Pedroletti.

Niva Yau est, depuis 2018, chercheuse junior à l’Académie de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), basée à Bichkek, au Kirghizistan. La jeune femme, originaire de Hongkong est aussi chercheuse non-résidente à l’Institut de recherche en politique étrangère de Philadelphie. En 2020, le Washington Post lui a décerné un prix Albie – en mémoire de l’économiste Albert O. Hirschman (1915-2012) – qui récompense les dix meilleurs articles d’économie politique publiés dans l’année.

Le projet des « nouvelles routes de la soie » du président Xi Jinping a été officiellement lancé à Astana, au Kazakhstan, en 2013. Mais nombre d’investissements chinois lui sont antérieurs. Quelle a été leur évolution ?

Dans les années 1990-2000, les investissements chinois allaient surtout dans les gazoducs (au Turkménistan), l’exploitation de pétrole (au Kazakhstan), et au Kirghizistan et au Tadjikistan, dans des infrastructures de base, comme la construction de routes, d’usines de ciment ou de goudron.

Puis, en 2013, le Kazakhstan a lancé avec la Chine un programme de « transfert de capacité industrielle » qui a abouti, en 2019, à l’approbation de 55 projets – production de plastique et de verre, métallurgie – selon un schéma BOT (« Build-Operate-Transfer »). Les ingénieurs chinois montent l’usine, forment les travailleurs, puis l’usine est confiée au pays au bout d’environ cinq ans. Quinze de ces projets sont actuellement en activité et 24 autres sont en cours de réalisation. Au Kirghizistan, un projet d’usine d’engrais a été approuvé selon ce modèle, en 2018, avec un investissement de 200 millions de dollars [166 millions d’euros], transférable dans trente ans. Aujourd’hui, l’Ouzbékistan réclame à son tour des projets du même type.

La Chine estime-t-elle avoir du succès dans cette région ?

Depuis l’indépendance des pays d’Asie centrale en 1991, la Chine considère qu’elle a aidé les élites en place à stabiliser la région, et que c’est une réussite. Hormis le Kirghizistan, à la fois seule démocratie et seul Etat politiquement instable, les autres pays sont des dictatures ou des quasi-dictatures, ce qui lui convient parfaitement. Leurs élites n’ont pas d’objection contre la Chine, génératrice pour eux de revenus. En revanche, même si les sociétés chinoises paient des impôts, cette manne n’est pas redistribuée, ce qui suscite la colère des habitants qui ont le sentiment de ne pas en tirer le moindre bénéfice alors que la Chine profite des ressources locales. Il y a eu des manifestations dans plusieurs villes kazakhes contre les projets chinois en avril 2019, et au Kirghizstan à de multiples reprises. 

La Chine a aussi veillé à ce que ces pays cessent leurs disputes au sujet du partage de l’eau et de l’énergie, incessantes dans les années 1990-2000. Le sud du Kazakhstan, moins équipé que le nord, a longtemps compté sur le Kirghizistan pour son électricité. Le Kirghizistan, lui, avait besoin de faire transiter par le Kazakhstan ses produits destinés à la Russie. Quand les Kazakhs bloquaient les routes, les Kirghiz ripostaient en leur coupant l’électricité ou l’eau, et vice versa.

Tout est rentré dans l’ordre avec l’implication de la Chine, qui a lancé des projets d’énergies renouvelables au Kazakhstan sur le modèle BOT. La présence chinoise a aussi permis d’atténuer les rivalités entre l’Ouzbékistan et le Kirghizistan. Alors que le sud kirghiz dépendait de l’Ouzbékistan pour l’électricité, Pékin a construit une ligne pour relier le sud au nord kirghiz. Le Kazakhstan, de par sa taille et sa richesse, a toujours été le plus gros partenaire de la Chine. Mais on voit aujourd’hui que celle-ci s’intéresse de près à l’Ouzbékistan, qui est en train de s’ouvrir.

Les sociétés chinoises de haute technologie, comme Huawei, suscitent-elles autant de méfiance en Asie centrale qu’en Occident ?

Non, au contraire. Tous les pays d’Asie centrale ont adopté le système de smart cities (« villes intelligentes ») de Huawei, censé améliorer les services urbains et la sécurité grâce à des caméras de surveillance et à l’intelligence artificielle. Le Kazakhstan a conçu sa propre version, à partir de matériel chinois. Le Tadjikistan a passé en 2013 un accord de 22 millions de dollars avec Huawei – un investissement déjà amorti grâce aux contraventions dressées pour les excès de vitesse détectés grâce à la vidéosurveillance. Il y a 800 caméras à Douchanbé, dans les parcs et même dans les mosquées.

La technologie chinoise sert l’agenda des gouvernements. Dans la province chinoise du Xinjiang, des caméras surveillent les prêches des imams ouïgours dans les mosquées. Le pouvoir tadjik s’inspire de ces méthodes pour réprimer les islamistes. Considérant qu’il y a trop de mosquées, il en transforme certaines en équipements publics, en cinémas. Il y a également eu des arrestations massives début 2020 contre de supposées cellules des Frères musulmans. De même au Turkménistan, où la technologie sert l’autoritarisme. En Ouzbékistan, l’accord signé avec Huawei, en 2019, pour un montant de 1 milliard de dollars, va au-delà de la surveillance du trafic routier : il s’agit d’une surveillance globale appelée « gestion numérique des affaires politiques ».

Quels autres avantages concrets les pays d’Asie centrale ont-ils tiré de l’augmentation des investissements chinois ?

Grâce au chemin de fer, la Chine a donné au Kazakhstan un accès aux terminaux portuaires de Lianyungang, situés sur la mer Jaune, sur la côte est chinoise (province du Jiangsu). Cela lui permet d’exporter vers le Vietnam. Et le Japon exporte désormais vers le Kazakhstan en trente jours au lieu de quatre-vingt. La Chine utilise l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) pour encourager des politiques souvent concrètes – et bien plus « douces » que les initiatives russes – visant à faciliter les échanges : numérisation du trafic frontalier, introduction d’un système unifié de signatures électroniques, système de permis pour les chauffeurs routiers qui permet de fluidifier le passage aux frontières. Les attentes aux frontières étaient un énorme problème dans la région.

Pourquoi n’y a-t-il pas davantage de coopération entre la Russie et la Chine en matière économique dans la région ?

Les Russes n’ont pas le même agenda en Asie centrale que les Chinois. Moscou souhaite essentiellement maintenir la dynamique économique actuelle, qui en fait une région plus pauvre que la Russie, et lui permet d’attirer un flux stable de travailleurs migrants bon marché. La Russie veut aussi continuer à importer d’Asie centrale des matières premières à bas prix. Ces deux dynamiques vont à l’encontre de ce que souhaitent les gouvernements de la région, bien conscients que la Russie les entrave. C’est pour cela que le Kazakhstan a cherché à obtenir des technologies chinoises pour développer son économie. Les Russes, eux, sont réticents aux transferts de technologies car ils craignent de mettre en danger leur industrie en favorisant la concurrence. La Chine n’a donc pas d’intérêts convergents avec la Russie dans ce domaine. La Russie ne peut pas faire grand-chose contre l’expansion chinoise au-delà de ses frontières : Pékin est déterminé à assurer la stabilité de la région, il en va de sa sécurité. Pendant longtemps, Moscou a été le garant de la sécurité dans la région. Mais, dans dix ou vingt ans, en sera-t-il encore capable ? La Russie fait face à des sanctions internationales, son économie va mal et elle s’implique moins dans les affaires internationales. Le signal envoyé à Pékin, c’est qu’il y a une place à occuper. La Chine pense pouvoir développer et transformer l’Asie centrale.

D’un point de vue stratégique, pourquoi la Chine s’investit-elle davantage en Asie centrale ?

Le défi pour la Chine que constituent la présence américaine en mer de Chine du Sud et l’avenir de Taiwan l’amène à s’impliquer davantage en Asie centrale. Ce pivot vers l’Asie centrale répond aux problèmes que posent sa dépendance envers des importations en énergie et ses exportations de marchandises par voies maritimes. S’il y a un conflit, la Chine veut pouvoir « militariser » son espace maritime sans trop compromettre son commerce. Cette vision stratégique est très ancienne. Déjà dans les années 1994-1996, les discussions entre le premier ministre chinois d’alors, Li Peng, et le président kazakh, Noursoultan Nazarbaïev, évoquaient la « revitalisation des routes de la soie » et la construction d’un « pont terrestre eurasiatique ». L’autre motivation, c’est la sécurisation du Xinjiang, pour éviter toute déstabilisation qui viendrait des pays d’Asie centrale

Dans un rapport récent, vous écrivez que la politique chinoise en Asie centrale a d’abord été défensive, sous Jiang Zemin (au pouvoir de facto de 1989 à 2003), puis guidée par des impératifs économiques sous Hu Jintao (2003-2013), avant de devenir idéologique avec Xi Jinping (président depuis 2013).Qu’implique ce changement ?

La politique étrangère de la Chine en Asie centrale est fondamentalement déterminée par ses objectifs intérieurs, or les priorités changent au fil des ans. Les pays d’Asie centrale ne voient pas plus loin que les débats sur les questions de sécurité du Xinjiang et les intérêts énergétiques. Or aujourd’hui, l’administration Xi ne pense qu’au nationalisme et à l’idéologie sur la scène mondiale. Le lancement formel des « nouvelles routes de la soie » en 2013 a signifié pour les dirigeants d’Asie centrale beaucoup de gestes symboliques, la signature d’accords, de nombreuses discussions. L’engagement commercial de la Chine s’y développait déjà avant cela. Mais cette initiative a rendu plus nerveux ceux qui, dans la société civile, se méfient de la Chine. Au Kirghizistan, un groupe ultranationaliste, Kyrgyz Chorolor, manifeste régulièrement contre Pékin. Au Kazakhstan, des activistes se sont mobilisés pour révéler ce qu’ont subi des Kazakhs dans les camps du Xinjiang. Or pour Xi, tout est question d’idéologie, de gestes et de liens politiques : il faudrait que l’Asie centrale soit toujours de son côté. Pour l’instant, celle-ci n’est pas à la hauteur de ses attentes.

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Venue en Chine en 2012 rendre une trop courte visite à mon fils, j’ai mesuré à quel point ma vision de ce pays était biaisée par des partis pris, des représentations d’un autre âge...
Depuis, je m’informe sur ce vaste et grand pays avec lequel nous avons à composer pour construire le monde de demain dans le respect de nos différences et de nos intérêts.


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