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Extrait de  : préface de Olivier Cosson, Les Derniers Jours  de  Pékin,  de Pierre Loti, Petite Bibliothèque Payot, 2014

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La crise des Boxers débute dans le nord de la Chine en 1899, sous l'impulsion d'un mouvement populaire et rural qui prit le nom de Yihetuan, les "Poings de la Concorde et de la Justice". Ce mouvement diffus a une double origine. D'abord une situation agricole très difficile dans la région qui a entraîné des famines. Ensuite, la montée en puissance du mouvement - assez anciennement structuré selon le modèle des sociétés secrètes autour d'une pratique des arts martiaux intégrant l'ensemble de la communauté villageoise (femmes et vieillards compris) - est provoquée par une dynastie impériale mandchoue hésitante vis-à-vis des campagnes chinoises, aux fonctionnaires corrompus, et surtout écrasée comme le pays par l'empiétement croissant des puissances étrangères.

Suite à leur implantation au XVIIIe siècle, les missions religieuses puis le commerce de l'opium ont provoqué la guerre sur le sol chinois au XIXe siècle et le développement d'un puissant mouvement xénophobe qui structure le nationalisme chinois des origines. Dans le dernier quart du XIXe siècle, ce nationalisme est profondément divisé par l'influence  occidentale, associant révolutionnaires, libéraux et traditionalistes.

A partir de 1860, les "diables d'Occident" (Yang Kouei) se voient accorder sur le sol chinois des droits toujours plus exorbitants, découlant d'une longue suite de traités inégaux. En 1895, la guerre sino-japonaise a humilié une nouvelle fois l'armée impériale et montré la supériorité militaire du Japon que son modèle de modernisation à l'occidentale place peu à peu aux côtés des "nations civilisées". La souveraineté chinoise ne s'exerce plus sur de larges parties du territoire: "concessions" urbaines et souveraines, dans les premiers temps, font naître des quartiers occidentaux à part entière. Les "territoires à bail" se développent depuis 1898, une innovation allemande équivalant à une forme de location à longue durée de territoires entiers, avec l'imposition insultante de la même souveraineté occidentale sur les populations. Dans la Chine de 1900, les étrangers peuvent commercer sans acquitter les taxes locales, exploiter le sous-sol, construire des voies ferrées qui ruinent les transports locaux, des lignes télégraphiques, et désormais naviguer sur toutes les voies d'eau du pays. Pire que cette exploitation économique effrénée, dans la crise qui nous concerne, ils continuent à bâtir écoles, églises et cathédrales, hôpitaux et édifices européens qui destructurent de plus en plus la société traditionnelle. 

Les dévastations, dont le bruit se répand au printemps 1900 en Europe, frappent ainsi d'abord ces symboles de l'invasion  que sont les voies ferrées, les édifices occidentaux et particulièrement les missions rurales (plus d'un million de Chinois sur quatre cents millions sont alors chrétiens). En février-mars, du nord rural, le mouvement s'est étendu jusqu'à la province voisine et à la région cruciale du Petchili, dominée par Pékin, et, plus près de la côté, Tien Tsin, qui sont investies. Le pouvoir impérial hésite alors que les Occidentaux, dont les premiers massacres ont eu lieu, se regroupent en divers endroits fortifiés. Face à ces tergiversations et dans la hâte d'acheminer des secours à Tien Tsin puis Pékin, les escadres occidentales forcent le 17 juin 1900 l'embouchure du fleuve qui baigne Tien Tsin et, prolongé par le chemin de fer, permet d'atteindre Pékin. 

Confrontée à cette violation de son territoire, l'impératrice douairière Cixi prend finalement le parti des Boxers en retirant sa protection aux étrangers. Elle espérait semble-t-il faire pièce aux réformateurs qui menaçaient son autorité. C'est un acte extrêmement grave qui prend les allures d'une déclaration de guerre. Les troupes régulières luttent désormais aux côtés des Boxers pour entraver les mouvements de troupes occidentales et assiéger leurs points d'appui urbains. Le soulèvement touche bientôt le sud de la région pékinoise et menace tous les intérêts occidentaux et chrétiens.

De déclaration de guerre il n'y aura pas, pourtant. Les Alliés préférèrent régionaliser l'affrontement avec le pouvoir impérial en maintenant les apparences d'une opération internationale "humanitaire" (de protection des populations), plus favorable à leurs affaires, et éviter une guerre ouverte et hasardeuse contre la Chine indépendante.

Le siège du quartier des Légations de Pékin (2 juillet-4 août 1900) symbolise donc bien d'autres affrontements dans l'est de la Chine. [...]

D'un point de vue strictement militaire, l'écrasement de la rébellion prendra deux mois, entre la mi-juin (débarquement des premières troupes de marine et renforcement immédiat des garnisons de Tien Tsin) et la mi-août 1900 (prise de Pékin). En réalité, les escadres et les troupes déjà présentes dans la zone (Français du Tonkin, Britanniques des Indes, Russes et Japonais de Mandchourie, troupes américaines d'occupation des Philippines) permirent de composer une force hétéroclite d'environ vingt mille hommes qui occupa Tien Tsin le 14 juillet et imposa, avant même d'atteindre Pékin, une trêve au pouvoir impérial et sa désolidarisation du soulèvement. 

La marche sur la capitale (120 km) se déroule néanmoins du 5 au 15 août et aboutit à une première prise de contrôle de la ville, alors que l'impératrice et son héritier ont fui dans l'ouest du pays, jugeant à leur férocité présente que le temps des négociations n'était pas encore ouvert avec les partenaires occidentaux. Tout au Long de leur progression, les troupes étrangères commettent en effet d'innombrables exactions, incendiant villes et villages, tuant, pillant et violant à une échelle et sur une zone qui restaient encore limitées à leurs effectifs. Le saccage et la rapine s'abattent alors sur Pékin et sur la Cité impériale en particulier. Le butin accumulé donne lieu sur place à des ventes aux enchères pour répartir les immenses richesses accaparées dans le feu de l'action. Dès septembre néanmoins, le corps  expéditionnaire international auquel appartient Pierre Loti [ndlr : auteur du livre "Les derniers jours de Pékin"] débarque dans le golfe de Petchili et multiplie par cinq l'ampleur des forces occidentales bientôt présentes dans le nord de la Chine. Alors que l'avant-garde retourne pour l'essentiel dans ses garnisons d'origine, les bras chargés de butin, plus de cent mille hommes occupent la zone : l'équivalent d'une forte division (vingt mille hommes) pour les cinq occupants principaux (Allemands, Japonais, Français, Britanniques et Russes), associés à des contingents plus restreints pour l'Autriche, l'Italie et les États-Unis.

Plus généralement, il ne s'agit plus de rétablir l'ordre ou de libérer des populations menacées. On veut peser (en ordre dispersé) dans les négociations avec l'Empire céleste et imposer une pression militaire directe sur Pékin à partir de Tien Tsin et de la mer. Les opérations s'etendront à une région équivalente aux trois cinquièmes de l'Hexagone et abritant près de trente millions d'habitants. Ceux-ci, malgré la soumission des autorités chinoises et la défaite des Boxers, doivent encore subir la vengeance qui leur a été promise. Elle durera jusqu'à l'été suivant malgré la fin de la crise, marquée par un protocole de traité signé le 14 janvier 1901 imposant de lourdes sanctions économiques à la Chine. [...]