Pourquoi lire en 2017 les Lettres édifiantes et curieuses de Chine par des missionnaires jésuites - 1702-1776, comme je viens de le faire ?

b2ap3_thumbnail_IMG_4824.jpg

 

Publiées à partir de 1702 sous forme de volumes annuels puis de recueils, distribuées comme prix dans les écoles chrétiennes jusqu'au milieu du XIXe siècle, elles ont passionné Voltaire, Montesquieu et d'une façon générale les "intellectuels", savants et philosophes et joué un rôle primordial dans l'évolution des idées et des mentalités au Siècle des Lumières.

b2ap3_thumbnail_IMG_4812.jpg

Avec ces "lettres", on redécouvre combien les tentatives (quasi avortées) d'évangélisation de la Chine ont été l'occasion d'une collaboration intellectuelle féconde entre l'Orient et l'Occident. Les Jésuites, arrivés en Chine en 1582 avec Matteo Ricci, apparaissent comme de véritables "médiateurs culturels". En Europe, leurs lettres permettent de découvrir le fonctionnement et l'organisation de l'empire, les mœ“urs et les valeurs des empereurs, le développement des sciences et des techniques, les méthodes de lutte contre les calamités, le système du mandarinat et toutes sortes de "curiosités". A Pékin, grâce à leurs talents d'astronomes, de peintres, de mécaniciens, les jésuites excitent la curiosité des empereurs et des lettrés pour les connaissances européennes. Ma génération a plus souvent entendu parlé, à propos de la Chine impériale, de fermeture, de déclin, de suffisance que d'ouverture, de puissance ou d'échanges. C'est pourquoi la lecture des Lettres édifiantes et curieuses permet de mieux percevoir le réel niveau de développement de la Chine d'alors mais aussi la liberté et le respect dont les Jésuites ont bénéficié pendant une petite centaine d'années dans leur entreprise d'évangélisation. A l'heure de la mondialisation tous azimuts que nous connaissons, il n'est pas inutile de se souvenir qu'elle était déjà  en marche au XVIe et XVIIe siècles, pour le plus grand intérêt de tous.

Voici des extraits des Lettres édifiantes et curieuses (édit. Garnier-Flammarion de 1979).

Extraits : Lettre du père Parennin, missionnaire de la Compagnie de Jésus à M. Dortous de Mairan, de l'Académie royale des Sciences, en date du 28 septembre 1735. Celle-ci porte dans sa deuxième partie sur la réaction de l'Empire chinois face aux disettes.

[...] Une autre chose,Monsieur, que vous avez de la peine à comprendre, c'est que les disettes soient si fréquentes à la Chine. [...] Vous observerez, Monsieur, que dans un temps de disete, la Chine ne peut tirer aucun secours de ses voisins et qu'au contraire elle est obligée de leur en fournir [...]. Il faut qu'elle se nourrisse elle-même et qu'elle tire de ses différentes provinces de quoi faire subsister cette foule innombrable d'habitants; c'est cequi a fait dans tous les temps l'objet de l'attention des bons empereurs. Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on a établi des greniers dans toutes les provinces et dans presque toutes les villes un peu considérables, pour le soulagement du peuple dans les temps difficiles. On lit encore les ordonnances et les déclarations des anciens empereurs, remplies des expressions les plus tendres pour leurs sujets qui souffrent. Ils ne peuvent, disent-ils, ni boire, ni manger, ni prendre de repos qu'ils n'aient soulagé la misère publique. Je crois que cela était sincère du temps que la Chine était gouvernée par des empereurs de sa nation, qui regardaient leurs sujets comme leurs propres enfants, et que l'exécution suivait de près les ordres qu'ils portaient. Aujourd'hui, la théorie est encore la même, les ordres se donnent de la même manière [...] L'Empereur a la même affection pour sespeuples mais elle n'est pas égale dans les officiels sur l'attention desquels il se repose. Voici donc ce qui arrive.

Quand la récolte manque dans une province, soit par une sécheresse extraordinaire, soit par quelque inondation subite, les grands mandarins ont recours aux greniers publovs; mais souvent, les trouvant vides, comme je le dirai plus bas, ils font faire des informations, des examens, des recherches et diffèrent à en informer la cour parce que ce sont des nouvelles désagréables. Ne pouvant plus différer, ils envoient enfin leurs mémoriaux Ces mémoriaux parvenus aux tribunaux de Pékin, passent par plusieurs mains et ne sont portés qu'après plusieurs jours à l'Empereur. Aussitôt le prince ordonne aux grands de s'assembler et de délibérer sur les moyens de soulager la misère  du peuple. En attendant. [...] Vient ensuite la résolution des tribunaux qui est ordinairement de supplier  l'Empereur de charger de ce soin des mandarins de la cour, sages et désintéressés. Si l'on veut qu'ils fassent diligence, on leur fournit des chevaux de poste et dès lors ils sont nourris aux dépens du public. Si on ne leur en offre point, il faut qu'ils marchent à leurs frais. [...] Ceux qui n'attentent pas à l'extrêmité, se traînent comme ils peuvent jusqu'aux autres lieux où ils croient pouvoir subsister et laissent toujours en chemin une grande partie de leur troupe qui meurt de misère. Voilà ce qui se pratique ordinaireement dans les provinces les plus éloignées; car à la cour, et dans les provinces voisines, il y a des provisions de riz pour dix ans. Le prix n'augmente jamais à Pékin et s'il montait un tant soir peu haut, l'Empereur ferait vendre le sien au peuple au prix ordinaire. Les lenteurs pour les autres provinces viennent de plusieurs autres causes. [...] La première est que les grands mandarins qui ont en soin en chef des greniers publics, en confient la garde à de vraies harpie : ce sont des loups affamés qui gardent une boucherie? Ces canailles usent de mille artifices pour voler [...].