« S’enrichir n’est en soi ni un but, ni un mal, mais un fait naturel aussi évident qu’éduquer ses enfants ou entretenir ses parents devenus vieux », écrit Cyrille Javary.

 Comme la cuisine, le rapport que les Chinois ont à l’argent s’inscrit dans la nécessité de « vivre » malgré les difficultés, « vivre » dépassant de loin d’assurer sa propre vie.

L’esprit chinois considère l’argent comme « une énergie », comme « un flux ». Amoureux de la vie, les Chinois se sont toujours efforcés de favoriser, de réguler, de préserver le flux vital qui irrigue aussi bien leur corps que leurs demeures et leurs entreprises. S’assurer une bonne santé financière semble aussi naturel et bénéfique que faire des exercices physiques.

Dans la perspective chinoise, ce n’est pas la possession de l’argent qui enrichit mais sa circulation. « L’harmonie sociale étant conçue comme fondée sur un continuel échange de dons, contribuer à l’abondance collective devient une vertu ».

Le slogan lancé par Deng Xiao Ping dans les années 1980 « Être riche est glorieux » correspond à un très ancien principe traditionnel : s’enrichir, c’est participer à l’abondance collective.

Confucius disait : « il est honteux de s’enrichir quand le pays est mal gouverné ; il est honteux de demeurer pauvre quand le pays est bien gouverné » (Entretiens de Confucius).

« Ce point de vue est aujourd’hui très répandu en Chine où l’enrichissement personnel est vécu dans une perspective collective. Être pauvre n’est utile à personne, alors que prospérer, si l’on sait être généreux, profite au plus grand nombre. Donner produit un double bénéfice : cela contribue à l’abondance d’autrui tout en nourrissant ma propre richesse, puisque ce que je donne ne peut que me revenir, maintenant ou plus tard », explique Cyrille Javary.

A l’occasion de grandes catastrophes comme le tremblement de terre au Sichuan en 2008, on peut assister à des hit-parades de dons humanitaires dans lesquels rivalisent de générosité les stars du cinéma et de la chanson.

Selon le romancier contemporain Yu Hua, « presque tous les détenteurs de grosses fortunes en Chine aujourd’hui, s’ils ne sont pas liés au pouvoir par des liens de fonction ou de parenté, étaient au départ des petites gens, voire des paysans, des gens qui n’ont pas d’éducation mais qui ont une façon de penser très directe, qui va droit au but ».

Yu Hua écrit : « Derrière le boom de l’économie, on trouve le culot des gens de peu qui anime les Chinois d’aujourd’hui, et leur volonté de profiter des moindres opportunités. C’est ainsi qu’ont surgi dans notre sphère économique toutes sortes de rois : le roi de la serviette en papier, le roi de la chaussette, le roi du briquet, etc. Il y a au Zhejiang un roi du bouton qui propose une variété incroyable de boutons. Certes, le commerce du bouton est peu lucratif, mais partout dans le monde où l’on porte des vêtements, on trouve ses boutons à lui. »

Sources :

- La souplesse du dragon - les fondamentaux de la culture chinoise, Cyrille J.-D. Javary, Albin Michel, 2014, p.177

- La Chine en dix mots, Yu Hua, Actes Sud, 2010, p. 228.