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Voici un texte court mais extrêmement beau de Yan Lianke, un auteur contemporain installé à Pékin mais natif du Hunan. Avec Les jours, les mois, les années (éd. Philippe Picquier, 2009), en chinois Nian yue ri (年 月 日), Yan Lianke nous livre un hymne à la vie qui lui a valu en 2001 le prix Lu Xun de littérature. La transmission coûte que coûte de la vie, quelqu'en soit le prix, est le fondement de cette nouvelle dont les deux héros, un vieux paysan et son chien aveugle, iront au bout de leur acharnement à faire fructifier ce qui n'est qu'un unique grain de maïs germé alors que le village tout entier prend le chemin de l'exode, chassé par l'épouvantable sécheresse qui s'est abattue sur la région montagneuse, scène du roman.

 Yan Lianke nous livre-t-il là un condensé de la très longue histoire du peuple chinois, confronté depuis toujours aux calamités de toutes sortes ? Yan Lianke est également l'auteur d'un livre fameux Servir le peuple, traduit également dans de nombreux pays. Plusieurs de ses livres ont été censurés en Chine et il reconnaît bien volontiers pratiquer l'autocensure pour avoir la possibilité d'être publié dans son propre pays.

Extrait (p. 5 de l'édition de Picquier poche) : 

"Cette année-là, la sécheresse semblait ne jamais devoir finir, le temps lui-même paraissait avoir été réduit en cendres et le charbon des jours se consumait dans nos mains. Le soleil brillait en grappes infinies au-dessus de nos têtes. Dès le matin, et jusqu'au soir, l'aïeul respirait l'odeur de ses cheveux roussis. Quelquefois, il tendait la main dans le vide. Il pouvait alors sentir l'odeur de ses ongles cramoisis. Journée de merde ! Il jurait ainsi tout le temps, quittant le village dépeuplé, foulant un abîme de silence, les yeux mi-clos, un regard jeté de biais vers le soleil, il disait, viens l'aveugle, partons. Le chien suivait, guidé par le bruit du pas alourdi par les ans, et deux ombres quittaient le village. L'aïeul grimpait vers l'arête de la montagne, les rayons de lumière tremblaient sous ses pieds. Un faisceau oblique provenant de l'est lui fouetta soudain la face, les mains, la pointe des pieds, cinglant comme une canne de bambou. Il sentit la chaleur d'une gifle sur le visage. A la commissure des paupières, du côté exposé au soleil, la brûlure semblait dissimuler au creux des rides un chapelet d'innombrables gouttes bouillantes. L'aïeul allait uriner. A la suite de l'homme, le chien se soulagea lui aussi. Depuis quinze jours, c'était la première chose qu'ils faisaient après s'être réveillés, ils allaient uriner sur ce champ en pente, à quelque quatre kilomètres du village. Sur ce versant ensoleillé, il y avait un pied de mais que l'aïeul avait planté. Uniquement ce pied, pâlissant au fur et à mesure des jours de sécheresse, uniquement ce pied qui dispensait un peu d'humidité alentour, dans l'air en combustion. L'urine, c'était de l'engrais. Il y a de l'eau dans l'urine. L'eau dont le maïs manquait se trouvait là dans l'urine qu'ils avaient accumulée, lui et son chien, au cours de la nuit."