A l'occasion de la réunion de la COP22 à Marrakech, le Monde Economie a publié le 4 novembre 2016 une analyse de Mamadou Lamine Diallo (ancien directeur de cabinet du président de la commission de l’Union africaine), Joël Ruet (économiste et chercheur au CNRS et président du think tank The Bridge Tank) et Wang Yao (secrétaire générale adjointe du comité pour la finance verte en Chine) par laquelle ils prévoient une "alliance objective entre la Chine et l'Afrique" à Marrakech.

Extraits :

Le Maroc accueille à Marrakech, du 7 au 18 novembre, la « conférence des parties » (COP22) à l’accord sur le réchauffement climatique. La présidence marocaine de la COP22 ne veut pas d’une simple « COP de mise en œuvre » de l’accord de Paris, conclu à l’issue de la COP21 de décembre 2015 ; elle souhaite en faire une COP de l’Afrique et des Sud. Compte tenu de la stratégie chinoise, il faut s’attendre à voir émerger à Marrakech une alliance objective entre la Chine et l’Afrique.

D’abord, le Sud est pressé. L’Initiative africaine pour l’adaptation (AAI), projet panafricain signé lors de la COP21, a posé une priorité : mobiliser la finance pour l’adaptation au changement climatique. Le Maroc ne souhaite donc pas « organiser l’après-2020 » (date fixée pour la mise en œuvre de l’accord de Paris), mais bien avancer cette date. Une telle accélération serait un succès diplomatique mondial pour le pays hôte, tout en servant le volet africain de sa stratégie.

La Chine, qui cherche des relais de croissance, est l’alliée objective de ce projet. Championne de l’économie bas carbone par l’intermédiaires des « sept secteurs stratégiques émergents » (énergies renouvelables, véhicules propres, services environnementaux, etc.), qui devraient couvrir 15 % du PIB chinois en 2020, la « fabrique du monde » veut déployer ailleurs ces industries pour rentabiliser sa propre transition. Elle a donc tout intérêt à soutenir le calendrier marocain d’accélération de la transition mondiale.

Seconde demande de l’Afrique qui sera présentée à la COP22 et qui rencontre aussi l’intérêt bien compris de la Chine : consacrer autant de financements à l’« adaptation » (au changement climatique, qui concerne davantage le Sud) qu’à l’« atténuation « (la réduction des émissions, qui est la priorité du Nord). Car, aujourd’hui, la première ne draine que 12 % des financements. Le comité scientifique de la COP22 pourrait ainsi proposer un « guichet unique » pour les financeurs ; la Chine y voit son intérêt pour que ses propres innovations, de l’agriculture à la finance verte, se diffusent rapidement au Sud.

Forte de l’internationalisation de ses firmes et de sa monnaie, la Chine déroule une politique de long terme. Depuis le sommet Chine - Afrique de décembre 2015, Pékin a une nouvelle approche : inclure l’Afrique, par le biais des secteurs à haute valeur ajoutée et l’ingénierie financière, dans le dispositif de sa « nouvelle Route de la soie », testée en Asie et en Europe.

Faut-il s’en saisir ou s’en préoccuper ? Au-delà de l’inévitable concurrence à venir entre le Nord et la Chine, l’urgence reste de sécuriser l’accord de Paris. Car, au-delà des satisfecit, celui-ci reste fragile. Il n’a été rendu possible, en 2015, qu’en raison de la bienveillance du groupe africain. Son sherpa, le malien Seyni Nafo, rappelle depuis lors que le continent a des attentes légitimes pour 2016…

Africain, européen, chinois, nous pensons que l’on peut concilier les intérêts du Nord avec ceux du Sud et sécuriser le succès de l’accord de Paris en promouvant l’idée que l’« adaptation » souhaitée par l’Afrique n’est pas un coût, mais une opportunité pour amorcer la transition écologique et soutenir la croissance partout dans le monde.

Pour les gouvernements, c’est l’occasion de proposer par exemple des « packages » de régulations régionales, voire, pourquoi pas, la création d’un comité mondial de la finance verte. La Chine et, avec elle, les actionnaires de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB) – dont la plupart des pays de l’OCDE – doivent être ouverts à une avancée souhaitée par les pays du Sud : passer d’une politique contrainte par l’offre du Nord à une structuration par la demande du Sud.