Des millions de Chinois, en particulier au Hubei, sont encore confinés chez eux pour limiter la diffusion du coronavirus. Les jeux, la gymnatique, les livres...  tous s'occupent comme ils le peuvent pour combattre l'ennui et garder l'espoir en ce printemps naissant.

Aux habitants de Wuhan, épicentre de l'épidémie de Covid-19, ville située de part et d'autre du Yangze où je me suis rendue à plusieurs reprises depuis 2015, je dédie ce poème.

Datant de la dynastie Tang, qui marque l'apogée de la poésie chinoise, Nuit de lune et de fleurs sur le fleuve au printemps, a été écrit au VIIe siècle par Zhang Ruoxu. Encore bien connu des Chinois d'aujourd'hui, que ce poème soit, en ces temps de confinement, une porte ouverte sur ce fleuve dont ils sont actuellement si privés.

Extrait de : Anthologie de la poésie chinoise classique, sous la direction de Paul Demiéville (éd. Gallimard, 1962, pp.234-236)

Nuit de lune et de fleurs sur le fleuve au printemps

A la marée du printemps, le fleuve ne fait plus qu'un avec la mer ;

Au-dessus des flots, la lune brillante apparaît avec le flux.

Sur l'eau agitée, elle accompagne les vagues jusqu'à l'infini ;

Aucun repli du fleuve printanier n'échappe au clair de lune.

Le fleuve coule, et de mille détours entoure les champs odorants ;

La lune resplendit sur la forêt fleurie et l'on dirait du givre.

C'est dans le ciel comme une grêle qui tombe sans qu'on la voie passer ;

Le sable blanc des îlots devient invisible à qui le cherche.

Fleuve et ciel ont même couleur, sans le moindre grain de poussière ;

Resplendissant d'éclat, le disque de la lune est seul au firmament ;

Sur la rive du fleuve, quel fut le premier homme qui vit la lune ?

Lune du fleuve, quand as-tu commencé à briller pour les hommes ?

L'une après l'autre, les générations se suivent sans fin;

D'année en année, lune du fleuve, tu es toujours la même.

Je ne sais pas, lune du fleuve, sur quels hommes tu as resplendi ;

Je ne vois que le fleuve dont les eaux se suivent sans trêve.

Un nuage blanc; seul dans le ciel, se perd dans le lointain ;

Sur la rive aux sombres sycomores, quel chagrin pesant m'envahit ?

A qui donc appartient la petite barque qui vogue en cette nuit ?

Où donc retrouver la maison dans le clair de lune où l'on songe à l'absente ?

Hélas ! au-dessus du pavillon, la lune fait les cent pas,

Eclairant la toilette et le miroir de l'épouse lointaine.

Le store des portes de jade s'enroule sans que parte la lune

Pour qui essuie la pierre à battre les habits, elle est encore là.

En ce moment leurs yeux se cherchent, mais ils ne peuvent s'entendre:

"Je voudrais suivre un rayon de lune", dit-elle, "et resplendir pour vous.

"Mais même l'oie sauvage, en son vol, ne peut transporter la lumière,

"Et poissons et dragons, en leurs ébats, ne font que rides sur l'eau.

"La nuit dernière, oisive en mon logis, j'ai rêvé que les fleurs tombaient ;

"Le printemps, hélas! est à moitié passé; et Il ne rentre pas".

Le fleuve entraîne en son cours le printemps, qui va bientôt se terminer.

Au bord du fleuve, la lune tombe et vers l'Ouest à nouveau s'incline.

Toute penchée, elle s'enfonce dans les brumes de la mer ;

Entre le "Grand rocher" et la "Rivière claire", infinie est la route.

Qui pourrait chevaucher la lune pour revenir à la maison ?

Sa chute comble de mélancolie et le fleuve et les arbres.