En Chine, désormais, tout est « routes de la Soie ». Pour obtenir des financements, des investissements ou des aides, mieux vaut faire partie de cette liste très sélecte des pays membres de l’initiative OBOR, One Belt, One Road. « Une ceinture, une route », selon la terminologie officielle.

« Tous les pays partenaires des routes de la soie ont accès aux investissements chinois. Si vous n’êtes pas signataire vous êtes exclus », nous explique Moulay Hafid Elalamy, le ministre marocain de l’industrie en marge du dernier Forum sino-africain pour les investissements organisés à Marrakech les 28 et 29 novembre.

Après l’Egypte, l’Ethiopie, le Kenya, Djibouti et l’Afrique du Sud, le Maroc fait donc à son tour son entrée dans la liste très officielle des pays membres des nouvelles routes de la soie, Soixante-dix pays au total et seulement six pays africains ? « Mais ce n’est qu’un début. Désormais, tous les pays du continent tapent à la porte de Pékin pour en faire partie », souligne le sinologue Thierry Pairault.

Toujours en marge du forum de Marrakech, l’ancien premier ministre tunisien, Mehdi Jomaa, est lui aussi venu rencontrer ces fameux investisseurs venus de l’empire du Milieu qui, selon lui, « devraient jouer un rôle dans la relance économique » de son pays. « Il ne doit pas y avoir de concurrence entre les pays du Maghreb. Nous manquons d’infrastructures et nous avons besoin des investissements chinois. Il y a de la place pour tout le monde. »

Pour tout le monde, mais à quel prix ? En moins de vingt ans, la Chine est devenue le premier partenaire économique de l’Afrique. Leurs échanges commerciaux ont atteint 190 milliards de dollars (160 milliards d’euros) en 2016 et sont aujourd’hui plus importants que ceux du continent avec l’Inde, la France et les Etats-Unis réunis. Seule l’Union européenne en tant qu’entité économique fait mieux avec 286 milliards d’euros en 2015.

Mais la plupart de ces investissements chinois dans les routes de la soie estimés à quelque 1 000 milliards de dollars sur trente ans concernent la construction d’infrastructures : routes, ports, lignes de chemin de fer et parcs industriels afin de fluidifier le commerce international et d’ouvrir de nouvelles routes commerciales pour la deuxième économie du monde.

« Les infrastructures sont des contrats que vous donnez à un autre pays, ce n’est pas un cadeau, tempère le ministre marocain Elalamy. Ce qui est important pour le Maroc, c’est que notre relation avec la Chine soit mutuellement bénéfique. Nous devons préserver les intérêts du royaume. L’investissement que je recherche doit être industriel et amener de l’emploi et des devises. C’est clair et transparent. Vous savez, nous sommes majeurs et vaccinés ! » En clair, on ne se laissera pas emporter par cette vague de « sinolatrie ». L’ancien homme d’affaires sait trop bien en effet que le but ultime pour la Chine est d’écouler ses surplus industriels de ciment et d’acier et d’exporter autant que possible sa main-d’œuvre.

L’Afrique représente aujourd’hui 15 % des investissements de la Chine dans le monde et au moins dix mille entreprises chinoises sont installées sur le continent. Mais la plupart servent les industries minières et extractives. Les zones économiques spéciales construites sur le modèle chinois ne doivent pas être des concessions chinoises. « Il faut sortir de ce modèle !, s’insurge Thierry Pairault. Il faut bien se dire que la Chine est importante pour l’Afrique, mais l’Afrique, elle, n’est pas si importante pour la Chine. » La politique de type keynésienne menée par Pékin sur le continent consiste pour l’instant essentiellement à dépenser de l’argent en Afrique pour faire tourner l’économie chinoise. « Le Maroc effectivement sort du lot et propose une alternative intéressante », analyse le sinologue.

Le nouveau corridor, qui remonte du golfe de Guinée à la Mauritanie pour finir au Maroc, est en effet une composante naturelle du commerce sino-africain et une plateforme vers l’Europe.

Le Maroc est le pays le plus légitime en Afrique du Nord pour recevoir ses investissements chinois. Le port de Tanger est le troisième le plus important stratégiquement au monde après Shanghaï et Panama. C’est un lieu essentiel pour Pékin puisque l’objectif est d’abord méditerranéen et qu’il est question avec ces routes de la soie d’entraîner des investissements en Afrique à destination de l’Europe.

La Chine a pourtant longtemps préféré l’Algérie au royaume chérifien. Certainement en raison de ses réserves pétrolières. Sur les 500 milliards de dollars d’investissements publics dépensés depuis l’arrivée au pouvoir du président Bouteflika, en 1999, les sociétés chinoises en auraient capté au moins 80 milliards.

Mais la création de Casablanca Finance City et de Tanger Tech est un modèle de rééquilibrage dans la région. Il s’agit de zones économiques destinées à attirer des investissements étrangers via des crédits d’impôts tout en créant de la valeur et des emplois locaux. Cent mille emplois seront ainsi créés à Tanger à l’issue de ces dix ans de travaux et des 11 milliards de dollars prévus d’investissements. [...]

« Si la Chine a une stratégie en Afrique, il est temps pour nous aussi d’avoir une stratégie vis-à-vis de la Chine », résume le ministre de l’industrie marocain.